Sarah Bitter m’a invitée à faire, à travers l’écriture, l’expérience des bâtiments
qu’elle a conçus 168, rue de Crimée, pour imaginer un texte qui serait en résonance proche ou lointaine avec eux. Ce texte devait pouvoir constituer, d’une manière ou d’une autre, l’un des matériaux du film que Sophie Comtet Kouyaté était en train de réaliser autour de cette même architecture. Projet déjà polyphonique, puisque ce film faisait intervenir des danseurs, une compagnie de danseurs-verticaux, une cinéaste et un philosophe. J’aime les commandes, parce qu’elles me déplacent et me font découvrir des mondes inattendus. Et le projet m’a plu. J’ai donc visité le 168, rue de Crimée plusieurs fois. Je n’avais pas d’idée précise de ce que j’allais écrire mais, en pensant à cet horizon cinématographique, j’ai tout de suite opté pour l’écriture de fragments. J’ai demandé à Sarah de compter pour moi les
fenêtres. Il y en a 180 + 32 qui donnent sur la cour intérieure de la halle. Je pensais aux retables de la peinture italienne. À une Annonciation de Piero della Francesca. À ces petits tableaux dans le bas du tableau, où sont peints des épisodes de la vie d’un saint. De courtes séquences, des miniatures souvent saisissantes. J’avais bien sûr également en tête «La Vie mode d’emploi» de Georges Perec. Tentative d’inventaire et d’épuisement de la vie d’un immeuble situé au numéro 11 de la rue (imaginaire) Simon-Crubellier, dans le 11ème arrondissement de Paris. J’ai décidé de créer autant de fenêtres imaginaires qu’il y avait de fenêtres réelles dans le site. Fenêtres depuis lesquelles j’observerai, comme à travers une longue vue, l’histoire du lieu et la longue vie de ses futurs habitants.
Les 212 fragments que j’ai écrits répondent ainsi aux 212 fenêtres des bâtiments du 168, rue de Crimée. Ils sont le fruit de mes visites, conversations, déambulations. Points de vue sur une architecture contemporaine et sur la vie rêvée de ses futurs habitants, en même temps que coups de sonde dans le passé d’un quartier. Inventaire, inventions.
Des extraits de ce texte qui a pour titre «Villa Crimée» sont présents (lus par moi) dans la bande-son du film réalisé par Sophie Comtet-Kouyaté. Et le texte lui-même paraîtra aux éditions P.O.L en octobre 2018. Mon éditeur est aussi celui de «La Vie Mode d’emploi».
Il n’y a pas de hasard.

  Célia Houdart est auteure. Elle a écrit cinq romans Tout un monde lointain, P.O.L, 2017, Gil, P.O.L, 2015, Carrare, P.O.L, 2011, Le Patron, P.O.L, 2009, Les merveilles du monde, P.O.L, 2007 et un essai : Georges Aperghis. Avis de tempête, éditions Intervalles, 2007. Son oeuvre comprend des textes pour le théâtre ainsi que des poèmes en prose pour la danse.
Villa Crimée, écrit pour le film a été édité aux éditions P.O.L en Novembre 2018.
 

 

Célia Houdart, écrivain